La circulaire parue au Bulletin officiel du 13 septembre 2018
a pris tout le monde de court, en particulier au Ministère des Affaires Etrangères
(MAE), à l'AEFE et l’ensemble des syndicats même si l'idée de mobilité imposée
aux résidents était dans les tuyaux. En effet, il s'agit du détachement des
professeurs et de tous les personnels titulaires de l'Education Nationale
(professeurs, administratifs, résident et expatriés). Ce changement des
conditions de détachement aura des conséquences néfastes dans tout le réseau à l’étranger,
en particulier en Russie dès la rentrée prochaine, en septembre 2019.
Les professeurs résidents sont des professeurs titulaires de
l'Éducation nationale, « détachés » auprès du Ministère des affaires
étrangères pour enseigner dans les établissements dépendants de l'AEFE. Pendant
ce détachement, les professeurs restent fonctionnaires et conservent leur
droits (avancement de carrière, retraite, sécurité sociale...)
Le résident comme son nom l'indique est lié au pays et son
poste et un peu analogue au poste qu'il aurait eu en France, un poste fixe sans
limitation de durée (mais la procédure de recrutement est différente). Ce
n'était pas le cas des professeurs expatriés qui avaient une mission de six ans
maximum, et dont la mobilité est statutaire, il bénéficie pour cela d’une prime
d’expatriation conséquente. Les professeurs expatriés ont presque tous été
remplacés par des professeurs résidents (pour des raisons financières).
Le nouveau décret va remettre en cause cette résidence pour
faire des nouveaux professeurs résidents des « sous-expatriés », en
clair ils ne pourront pas rester plus de six ans à l'étranger car ils n'auront
plus de détachement de la part de l'Education Nationale, condition sine-qua non
pour pouvoir rester professeurs résidents à l'AEFE.
Ce décret ne s'applique, pour l'instant, qu'aux nouveaux
contrats (professeurs qui ne sont pas déjà en poste dans le pays), mais il fait
planer une épée de Damoclès sur tous les professeurs. En effet tous les professeurs
doivent tous les trois ans renouveler leur demande de détachement, si les
renouvellements étaient quasiment automatiques ces dernières années, certains
rectorats sous tensions ont commencé à refuser ces renouvellements. Les refus
de détachements se sont aussi multipliés ces dernières années, le Ministère de
l’Education Nationale voulant récupérer des postes et des profs.
Ce décret s'appliquera apparemment aussi aux Titulaires Non-Résidents,
TNR (professeurs titulaires qui n'ont pas de postes de résidents et qui sont
recrutés locaux, ils sont alors en disponibilité et perdent leurs droits de
fonctionnaires le temps de leur disponibilité). Ils ont souvent accepté ce
statut avec l'espérance d'obtenir un poste de résident en cas de création ou de
vacance d'un tel poste. Maintenant si tel était le cas, ils ne seraient
résidents que six ans, ce qui change toute leur perspective.
Ces nouvelles conditions vont avoir des conséquences sur le
recrutement et l'enseignement au lycée :
1)
Il est évident que la plupart des projets du
lycée n’ont pu être menés à bien parce que les enseignants connaissaient le
pays, la langue et la « mentalité » russe. Or on peut craindre que
des professeurs ayant en ligne de mire leur retour en France à court terme ne
fassent pas le même effort d'intégration, d'apprentissage de la langue et de
connaissance du pays. Ils ne voudront peut-être même pas trop s'y attacher
sachant qu'ils ne pourront rester.
2)
A l'heure où il y a de plus en plus d'élèves
franco-russes et russes, il risque d'y avoir une certaine incompréhension entre
des professeurs nouvellement arrivés et des élèves et parents durablement
installés. Car il n'y aura plus ce socle d’« anciens professeurs, piliers
de l'établissement ». Le lycée perdra son âme s’il n'y a plus de continuité
pédagogique. Ce sera le cas de la plupart des lycées du réseau qui ont tous une
histoire propre, liée au pays. Il y avait jusqu'à présent un bon équilibre
entre les professeurs « de passage » et ceux dont la vie est en
Russie. Et six ans sur place est un maximum, c'est en réalité deux contrats de
trois ans et certains voudront découvrir un deuxième pays avant leur retour
obligatoire. Ils ne seront sans doute pas attachés de la même manière au lycée
et à son avenir que les professeurs qui ont une perspective de rester dans ce
lycée. C'est peut-être aussi une des raisons de la difficulté de l'école de
Saint Pétersbourg, dont les professeurs ne se sont pas implantés.
3)
Le décret précise qu'aucun détachement ne pourra
être accordé après une date limite, ce qui va poser un problème. Si un
professeur nouvellement recruté renonce à son poste ou ne peut pas venir (refus
de détachement par exemple, comme c'est déjà arrivé récemment au lycée...), le
lycée ne sera pas en mesure de recruter quelqu'un d'autre. Notons encore la
difficulté avec les visas pour essayer de trouver une solution de remplacement
en contrat local.
4)
La difficulté de recrutement, car le vivier des
professeurs qui voudront venir en Russie est depuis longtemps limité. Il
n'était déjà pas toujours évident de recruter des résidents. Le vivier va
encore se restreindre. Il faut vouloir quitter son poste en France, accepter
trois mois de disponibilité (pas encore abolis, en clair le contrat est de 2
ans et neuf mois ou de 5 ans et neuf mois). Il n'aura pas d'assurance de le
retrouver en rentrant (il ne sera pas forcément libre et l'ancienneté repartant
à zéro, il risque d'avoir un poste moins intéressant). Le risque est ne plus
recruter que des jeunes « globe-trotters ». Ce n'est pas péjoratif,
il en faut mais si c'est le seul type de professeur, cela risque d'être
catastrophique…